Cet article est un rappel des développements des concepts de l’ESG et de la RSE, avant d’évoquer les concrétisations au plan juridique en droit européen, comme la Directive NFRD, la loi PACTE, le règlement SFDR et enfin la CSRD.
À travers ces évolutions, nous mettrons en lumière l’importance croissante de la durabilité dans le paysage corporatif et réglementaire, soulignant les efforts pour aligner les pratiques commerciales avec les objectifs de développement durable à l’échelle mondiale.
Pour savoir si votre entreprise doit faire un rapport de durabilité conformément à la CSRD, consultez cet article (mis à jour 2025)
I. Rappels historiques
a) Histoire de l’ESG
Le concept d’ESG (Environnement, Social-Sociétal et Gouvernance) a commencé à prendre forme au début des années 2000, tout en prenant sa source dans des concepts développés pendant tout le 20ème siècle.
L’origine du terme est souvent attribuée à un rapport intitulé « Who Cares Wins » (« Qui s’en soucie gagne ») publié en 2004. Ce rapport était le résultat d’une initiative lancée par l’ancien Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, qui avait invité plus de 50 PDG de grandes institutions financières mondiales à participer à une conférence sur le développement durable.
L’objectif était d’intégrer les questions environnementales, sociales et de gouvernance dans les marchés de capitaux.
Le rapport « Who Cares Wins » recommandait l’intégration des questions ESG dans l’analyse financière et la prise de décision d’investissement, suggérant que cela conduirait à des investissements plus durables à long terme, qui bénéficieraient à la fois à la société dans son ensemble comme aux investisseurs.
Cette initiative a marqué un tournant, encourageant l’adoption de pratiques d’investissement responsables et la prise en compte des critères ESG dans les décisions d’investissement.
En parallèle, en 2006, les Principes pour l’Investissement Responsable (PRI) ont été lancés, avec le soutien de l’ONU, pour fournir un cadre permettant l’intégration des questions ESG dans la pratique de l’investissement. Les PRI ont rapidement gagné en popularité et sont devenus un standard de facto pour les investisseurs responsables à travers le monde.
Depuis lors, l’importance des critères ESG dans les décisions d’investissement a continué de croître, influençant la manière dont les entreprises opèrent et sont évaluées par les investisseurs, les régulateurs et le public.
Les critères ESG sont désormais considérés comme essentiels pour évaluer les risques et les opportunités associés aux investissements, reflétant une compréhension plus large de ce qui constitue la performance et la valeur d’une entreprise au-delà des seuls indicateurs financiers.
b) PRI et ISR
La notion d’Investissement Socialement Responsable (ISR) a commencé à gagner en popularité dans les années 1960 et 1970, bien que l’on retrouve des traces de ce concept dès les années 1920.
Certains investisseurs commencèrent en effet à chercher comment aligner leur portefeuille avec leurs valeurs éthiques, en cherchant à exclure les entreprises impliquées dans des activités controversées comme la vente d’armes ou le tabac.
Aujourd’hui, des fonds d’investissement dits « Fonds Ethiques » sont spécialisés dans les investissements responsables, c’est-à-dire que leur portefeuille ne contient en principe que des titres émis par des sociétés respectant pleinement les critères ESG et RSE.
Attention: en français, l’acronyme « ISR » peut parfois désigner l’Immobilier Socialement Responsable.
c) La RSE
Le concept de la Responsabilité Sociale (et Sociétale) des Entreprises (RSE) trouve ses origines dans plusieurs courants de pensée et mouvements sociaux à travers le monde, évoluant au fil du temps pour intégrer des préoccupations environnementales, sociales et de gouvernance au cœur des stratégies d’entreprise.
L’équivalent anglophone est la CSR (Corporate Social Responsibility).
- Début du XXe siècle : Les premières idées liées à la RSE peuvent être retracées aux théories du capitalisme bienveillant et aux philanthropes industriels qui pensaient que les propriétaires d’entreprises avaient un devoir moral envers leurs employés et la société dans son ensemble.
- Qu’on ne se trompe pas: il s’agit bien de capitalisme et de l’idée selon laquelle les profits ne sont durables que lorsque l’entreprise agit « de façon morale ».
- Années 1950 et 1960 : La RSE commence à prendre forme de manière plus structurée, notamment aux États-Unis, avec des académiciens comme Howard Bowen qui est souvent cité comme le « père de la RSE » pour son ouvrage « Social Responsibilities of the Businessman » (« Responsabilités sociales de l’homme d’affaires ») publié en 1953, que l’on considère comme le premier véritable ouvrage sur l’éthique des affaires. Bowen y développe l’idée selon laquelle les entreprises ont des responsabilités qui vont au-delà de la seule génération de profits pour les actionnaires.
- Années 1970 et 1980 : La RSE gagne en importance avec l’émergence des préoccupations environnementales et l’accent mis sur les droits de l’homme, le travail équitable et la protection des consommateurs.
- La catastrophe de Bohpal – accident chimique ayant causé plus de 7500 morts et 300 000 victimes sur le long terme – fut un élément déclencheur de cette prise de conscience en occident, tout comme les préoccupations liées à la déforestation de l’Amazonie.
- Années 1990 et 2000 : La mondialisation et de nombreux scandales corporatifs accroissent la pression sur les entreprises pour qu’elles adoptent des pratiques responsables.
- Des organisations internationales comme l’Organisation des Nations Unies commencent à jouer un rôle dans la promotion de la RSE à travers des initiatives telles que le Pacte Mondial des Nations Unies en 2000.
- Années 1990 et 2000 : La mondialisation et de nombreux scandales corporatifs accroissent la pression sur les entreprises pour qu’elles adoptent des pratiques responsables.
- Des organisations internationales comme l’Organisation des Nations Unies commencent à jouer un rôle dans la promotion de la RSE à travers des initiatives telles que le Pacte Mondial des Nations Unies en 2000.
- La RSE devient une composante de la stratégie d’entreprise, avec l’émergence de normes et de cadres de reporting tels que les Principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales, la norme ISO 26000 sur la responsabilité sociétale – mise au point par 99 pays pendant 5 ans – et les Principes pour l’Investissement Responsable (PRI) soutenus par l’ONU.
- Années 2010 à aujourd’hui : La RSE est désormais largement reconnue comme un élément de la gestion d’entreprise, avec une attention particulière portée aux objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies et à l’intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans les décisions d’investissement. Les entreprises sont de plus en plus tenues de rendre compte de leur impact sur la société et l’environnement, et la RSE est considérée comme un moyen d’assurer la durabilité à long terme des activités commerciales.
Le concept de RSE est donc le résultat d’une évolution progressive, internationale, influencée par des changements dans les attentes sociétales, les normes éthiques, et les pressions économiques et environnementales mondiales.
Il reflète la reconnaissance croissante que les entreprises jouent un rôle central dans la résolution des défis sociaux et environnementaux de notre époque.
Il faut toutefois reconnaitre que son application spontanée et volontaire rencontre de fortes résistances, et des reculs, dans certains secteurs économiques ou certaines parties du monde.
d) Le concept de développement durable
Le concept de développement durable a été popularisé par le rapport Brundtland de 1987 (« Notre avenir à tous ») et a contribué à sensibiliser les agents économiques et institutionnels aux impacts environnementaux et sociaux de leurs activités.
Les conférences des Nations Unies sur l’environnement et le développement, comme le Sommet de la Terre à Rio en 1992, ont mis en avant l’importance de l’intégration des considérations environnementales dans le développement économique.
Le lancement du Dow Jones Sustainability Index en 1999 a marqué une étape importante en fournissant un indice boursier évaluant les performances des entreprises en matière de développement durable.
La création du Carbon Disclosure Project (CDP) en 2000 visait à encourager les entreprises à divulguer leurs émissions de gaz à effet de serre et leurs stratégies de changement climatique.
Ainsi, bien que le terme « ESG » et le cadre conceptuel associé n’aient été formalisés qu’au début des années 2000, la notion elle-même s’inscrit dans une longue histoire de réflexions et d’efforts visant à intégrer les considérations éthiques, sociales et environnementales dans la gestion des sociétés commerciales et dans les décisions d’investissement.
II. Le corpus légal
a) L’Accord de Paris
L’Accord de Paris est un traité international du 12 décembre 2015 entré en vigueur le 4 novembre 2016, aujourd’hui ratifié par 195 parties (194 pays + l’Union Européenne), représentant plus de 98% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
L’objectif de l’accord de Paris est de limiter le réchauffement climatique à un niveau de 1,5 à 2 degrés Celsius, afin de parvenir à un monde climatiquement neutre d’ici le milieu du 21em siècle (2050 en UE).
Seuls trois pays n’ont jamais ratifié l’accord : l’Iran, la Libye et le Yémen. Voir l’encart ci-dessous pour la situation des Etats-Unis.
Statut actuel des États-Unis
Les États-Unis ne font plus partie de l’Accord de Paris depuis le 20 janvier 2025. Donald Trump a signé un décret exécutif ordonnant le retrait des États-Unis de l’accord dès son premier jour de mandat. Cependant, selon les règles de l’accord, le retrait ne deviendrait effectif qu’un an après la notification officielle à l’ONU, soit en 2026.
Cette situation marque la deuxième fois que Trump retire les États-Unis de l’Accord de Paris :
- Premier retrait : Trump avait annoncé le retrait en juin 2017, effectif en novembre 2020
- Réadhésion : Joe Biden a fait réintégrer les États-Unis dès son premier jour de mandat en janvier 2021
- Second retrait : Trump a de nouveau initié le processus de retrait le 20 janvier 2025.
b) Union Européenne: la DPEF de la NFRD
La Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF) a été introduite par la Directive 2013/34/UE dite « NFRD » (Non-Financial Report Directive).
Elle a été mise à jour en 2019 (NFRD Update) pour y ajouter le « principe de Double Matérialité » et prendre en compte les objectifs de l’Accord de Paris.
Selon le principe de double matérialité, les sociétés doivent ajouter au bilan financier, un « rapport d’impact environnemental et social » reprenant les éléments pouvant avoir un impact présent ou futur sur les finances de l’entreprise.
Concrètement, ce Rapport d’Impact n’était qu’un rapport de gouvernance générale qui aurait du permettre de comprendre en quoi les éléments présentés étaient potentiellement impactant pour l’avenir de l’entreprise concernée.
Toutefois, les entreprises n’ont pas joué le jeu, l’utilisant plutôt comme un outil de communication, ce qui justifiera une plus grande standardisation des règles quelques années plus tard afin de moins laisser de place aux éléments subjectifs.
c) France: Loi PACTE et Article 1833 du code civil.
En France, la définition de la société commerciale a été modifiée par l’article 169 de la loi n°2019-486 du 22 mai 2019 dite loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises).
On rappelle que l’article 1832 du Code Civil ne change pas: « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. »
Cependant, l’article 1833 du Code Civil est désormais rédigé comme suit :
« Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés.
La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »
Le nouvel article 1833 pourrait induire une plus grande responsabilité des associés ou des dirigeants.
Ainsi, si une décision d’entreprise entraîne un préjudice, notamment en négligeant de prendre en considération un risque environnemental important, les juges évalueront si les dirigeants ont pris en compte de manière adéquate les enjeux sociaux et environnementaux.
Il y a donc une mise en perspective du but de la société (partager des bénéfices ou une économie) avec la manière dont ce but est poursuivi.
On peut en conclure que, en principe, la société ou le dirigeant qui décide d’agir sans prendre en considération un risque environnemental ou social pourra être jugé responsable et être condamné à réparer le préjudice découlant de cet acte.
d) Le SFDR
Le Règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) vise à harmoniser et à augmenter la transparence des informations relatives aux considérations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) dans le secteur financier.
Le règlement est entré en vigueur le 10 mars 2021. Comme il s’agit d’un règlement et pas d’une directive, il est immédiatement applicable dans les Etats membres, dans l’ensemble de l’Union européenne, y compris en France.
Il impose aux acteurs financiers de l’UE de divulguer comment ils intègrent les risques et opportunités ESG dans leurs décisions d’investissement et leurs conseils.
Cela inclut la publication d’informations sur les politiques de durabilité, l’impact des investissements sur les facteurs ESG, et la manière dont les produits financiers atteignent leurs objectifs de durabilité.
Le SFDR ne s’applique pas directement en dehors de l’UE, mais il a des implications mondiales, car les entreprises non européennes qui veulent attirer des investisseurs de l’UE doivent également se conformer à ces exigences de transparence lorsqu’elles proposent leurs produits sur le marché européen.
En ce sens, bien que son application soit juridiquement limitée à l’UE, son impact est ressentie au niveau mondial parmi les acteurs des marchés financiers qui opèrent en UE ou cherchent à attirer des capitaux de l’Union.
Les acteurs des marchés financiers internationaux évoquent d’ailleurs le concept plus large de « Green Finance », indépendamment des règles applicables dans différentes parties du monde.
e) La CSRD
En avril 2021, la Commission Européenne a publié son projet de directive « Corporate Sustainability Report Directive » (Rapport de durabilité des Entreprises) afin de renforcer les préceptes de la DPEF qui laissaient trop de liberté quant au contenu du rapport, ce qui ne permettait pas de comparer différentes entreprises, ni de garantir la fiabilité des informations et chiffres des DPEF.
Le projet a été définitivement adopté par le Parlement Européen le 10 novembre 2022, et sera donc directement applicable dans l’UE en novembre 2024, sauf cas de transposition antérieure par les Etats membre.
En France, la directive a été transposée et est applicable depuis janvier 2024.
Le but de la CSRD est de pouvoir mesurer les impacts et risques sur l’environnement, sur les êtres humains et sur l’ensemble de l’écosystème de l’entreprise, et de permettre de comparer les rapports de différentes entreprises au moyen de normes standardisées au niveau européen et cohérentes au niveau mondial.
En effet, il est vite apparu que la Déclaration de Performances Extra Financières introduite par la NFRD était parfois devenue un rapport de communication externe utilisant des métriques parfois fantaisistes ou invérifiables dans un but à peine caché de « greenwashing ».
Dans tous les cas, il n’était pas possible de comparer les performances RSE de différentes entreprises. La raison d’être de la CSRD est donc bien de corriger le comportement des entreprises qui ont tiré profit de la souplesse relative de la NFRD, en introduisant des normes communes et impératives avec lesquelles il sera, en principe, plus difficile de tricher.
En parallèle, la CSRD s’inscrit dans un mouvement général de standardisation des normes de la « comptabilité carbone » au niveau mondial.
On notera accessoirement que, à l’heure actuelle et au niveau international, il reste des divergences importantes entre les approches quant à la façon de comptabiliser et présenter le « bilan carbone » des entreprises. Il s’agit de travaux en cours.
f) La CSDDD
La directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises (CSDDD ou « Corporate Sustainability Due Diligence Directive »), d’inspiration française, a été définitivement adoptée par le Parlement européen le 24 avril 2024 et approuvée par les États membres de l’UE le 24 mai 2024. Cette directive est entrée en vigueur en juillet 2024, bien qu’elle ne soit pas encore effective, et en cours de modification.
Elle encourage les grandes entreprises à contribuer à une économie verte et neutre en carbone, alignée sur le Pacte Vert pour l’Europe (European Green Deal / Net Zero Carbon Economy 2050) et les objectifs de développement durable de l’ONU, dans la continuation de la CSRD.
Environ 13000 grandes entreprises sont concernées en Europe, et environ 4000 hors UE.
La CSDDD concerne spécifiquement les Due Diligence relatives aux critères ESG et elle ne doit pas être confondue avec le devoir de vigilance en matière de gestion des risques de corruption et de fraude résultant de la loi Sapin II.
La CSDDD exige des entreprises concernées l‘identification et l’atténuation des impacts négatifs sur les droits humains et l’environnement dans leurs chaînes de valeur, en intégrant la durabilité dans leur gouvernance et gestion.
Elle impose aux grandes entreprises un devoir de vigilance avec l’obligation de modifier leurs pratiques internes pour identifier, prévenir et atténuer les risques liés aux droits de l’Homme, à l’environnement et à la santé et à la sécurité tout au long de leur chaîne de valeur.
Elle cible initialement les entreprises basées dans l’UE comptant plus de 500 employés et un chiffre d’affaires supérieur à 150 M€, ainsi que les entreprises comptant plus de 250 employés et un chiffre d’affaires de 40 M€ à condition que 50% de leur chiffre d’affaires provienne de secteurs à haut risque tels que la mode, les minéraux ou l’agriculture.
Les entreprises non-européennes opérant dans l’UE entrent également dans le champ d’application de la CSDDD.
Le secteur financier a été exclu de la CSDDD.
Calendrier d’application et évolutions récentes
Initialement, il était prévu que les exigences commencent à s’appliquer aux entreprises les plus importantes d’ici 2027 et soient progressivement étendues à d’autres entreprises au cours des deux années suivantes (2028 et 2029).
Cependant, dans le cadre de mesures de simplification européennes, la Commission européenne a proposé le 26 février 2025 un paquet législatif « Omnibus » visant à réduire significativement les exigences de reporting en matière de durabilité et de diligence.
Cette proposition prévoit notamment de reporter la date limite de transposition et l’application de la CSDDD, ce qui pourrait prolonger le calendrier initialement prévu.
En conclusion
Cet article a posé les bases d’une compréhension de l’évolution des cadres réglementaires en matière de durabilité, depuis les premiers pas de la responsabilité sociale des entreprises jusqu’à l’adoption de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) par l’Union Européenne, et les dernières évolutions de la CSDDD.
En mettant en lumière l’importance croissante des principes ESG dans le paysage corporatif et réglementaire, nous avons exploré comment ces développements marquent un tournant vers une économie qui souhaite devenir plus durable et plus responsable.
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